Philippe Pierre

Quand la sociologie nous invite à repenser les ressources humaines

Philippe Pierre.

À découvrir en cliquant sur votre plateforme d'écoute préférée

Accrochez-vous, Philippe Pierre nous ouvre sa boite à outils et nous partage son sens du bricolage ! L’épisode #19 est un concentré de réflexions, d’analyses, de conseils très pratiques et de partages d’expériences qui nous pousse à ouvrir notre champ de vision et à repenser des termes que nous employons quotidiennement comme le talent, l’équité, la diversité…

Ancien DRH, docteur en sociologie, consultant, enseignant, Philippe Pierre est un passionné : passionné par le management de la diversité, passionné par le management des générations, passionné par les organisations apprenantes et la question de la motivation des talents. Autant de sujets qui nous animent sur Tipping Point et bien sûr nous en avons profité pour lui poser plein de questions !

Quelle différence entre un haut potentiel et un talent ? À quels défis les dirigeants sont-ils confrontés aujourd’hui ? Qu’est ce qu’un bon DRH ? Comment créer les conditions de la confiance indispensables au management inter-culturel ? … et bien d’autres !

Ancien DRH de l’Oréal et chercheur au CNRS, Philippe Pierre explore les modèles organisationnels, expérimente au sein de l’entreprise et transmet aux étudiants. Avec un adage qui lui est cher : « un étranger est un ami qu’on ne connait pas encore ». Tout au long de son parcours, il met un point d’honneur à travailler avec des personnes et des milieux différents. Et il prône haut et fort l’hybridation des formes plutôt que l’opposition et la contradiction. N’observons-nous pas plusieurs modèles organisationnel au sein de la même entreprise ? Ne sommes-nous pas aux prises avec plusieurs styles de management en chacun de nous ?

Le management interculturel

Au centre de sa réflexion, le management interculturel. Un mot qu’il définit en début d’épisode par la formule de Claude Lévi-Strauss : « l’important n’est pas d’ouvrir les autres à la raison, l’important est de s’ouvrir patiemment aux bonnes raisons des autres » !

Car lorsque l’on est face à quelqu’un qui ne nous ressemble pas, trois façons d’agir s’offrent à nous :

  • la perspective monoculturelle : ASSIMILER – « asséchante et injuste »
  • la perspective multiculturelle : COEXISTER – des gens différents qui vivent à côté les uns des autres sans se connaître réellement
  • la perspective interculturelle : « changer en échangeant, sans se perdre ni se dénaturer » (Edouard Glissant)

Qu’est-ce qu’un talent ?

Dans cet épisode Philippe nous invite à redéfinir le Talent :

  • Il est dedans et dehors (dans et hors de l’entreprise) et créé chez nous de « l’étrange étrangeté »,
  • C’est quelqu’un qui nous percute dans nos évidences, quelqu’un qui touche à l’essentiel par son art du questionnement tout en délivrant du résultat,
  • C’est quelqu’un de différent, d’excellent, de généreux,
  • Il transmet aux autres parce qu’il a écouté activement,
  • Il a repéré les tours de main, les bonnes pratiques, toutes ces choses qui font réussir une organisation sans que l’on ait pu les écrire (le fameux « énergigramme » de Michel Serre),
  • Il n’a pas d’âge,
  • Il augmente le niveau d’exigence,
  • Enfin, c’est quelqu’un que l’on doit protéger !

Et de manière différente, Philippe redéfinit également les hauts potentiels « ils chassent en masse, emportent l’adhésion à terme de ceux qui sont puissants, peuplent les comités de direction et amènent au mimétisme et à l’entre soi. » Attention cependant, les deux sont nécessaires mais nous devons accepter cette contradiction.

Réussir un recrutement

Nous revenons également sur ses bons conseils pour réussir un recrutement :

  • Jamais en un seul lieu physique : marcher avec le candidat nous permet de passer de la convivialité à l’intimité
  • Jamais en une seule fois : on vient revoir le candidat sous une autre lumière, une autre humeur
  • Jamais tout seul : il est important de partager son avis avec quelqu’un
  • Suspendre son jugement : « si vous n’avez pas changé d’avis au cours des 45 min du processus, vous n’avez pas fait de recrutement. Ne faites jamais confiance à ce que vous ressentez quand vous le ressentez pendant au moins les 15 premières minutes ». Au risque de faire un entretien de confirmation plutôt qu’un entretien de recrutement !
  • Être encore plus attentif à cet entretien de confirmation lorsque l’on est fatigué : naturellement nous allons chercher des points de confort qui nous empêchent d’explorer.

Le rôle du DRH

Bien sûr, nous abordons la question du rôle du DRH, un métier complexe encore parfois mal compris. Philippe nous propose quelques bonnes pratiques :

  • La principale qualité d’un DRH : se mettre en situation de rebattre les cartes, de ne pas considérer quelqu’un comme un talent / un haut potentiel tout au long de sa vie,
  • Dire « non » fréquemment au dirigeant pour le faire changer d’avis,
  • Prendre le temps de rencontrer des profils atypiques,
  • Identifier les talents cachés en mettant les personnes dans des environnements apprenants, en amenant ses collaborateurs à rencontrer des gens qui ne leur ressemblent pas, dans un contexte humain ou social qu’ils n’ont pas choisi,
  • Passer du temps à enseigner, à aller dans des cercles associatifs ou humanitaires… pour aller se confronter à des publics qui ne nous attendent pas, pour nous découvrir nous même, élargir notre regard, nous habituer à cette dimension inter-culturelle qui est une démarche d’étonnement volontaire,
  • Échanger les rôles : proposer à un candidat de prendre sa place (physiquement et dans la discussion).

Le rôle du dirigeant

Au-delà du DRH, Philippe nous offre également son regard sur le rôle du dirigeant :

  • Le dirigeant doit créer un espace de parole pour s’entendre dire des choses qu’il n’a pas envie d’entendre !
  • Un bon conseil ? poser sur le papier les choses sur lesquelles on ne transige pas. Ce sont nos points d’ancrage. Car ils sont une chance que l’on se donne à soi de bien décider. Et plus il y a urgence, plus il faut « prendre le temps de prendre le temps »
  • Se mettre en mot pour sortir de la solitude du dirigeant et de l’entre-soi. Dessiner son sociogramme : identifier les réseaux informels sur lesquels on peut compter, nos personnes ressources et nos personnes relais
    • Personnes ressources : celles qui viennent nous voir volontairement pour nous dire quelque chose d’utile et que nous n’avons pas envie d’entendre » ! Et il nous en faut toujours 2 ou 3 nous dit Philippe.
    • Personnes relai : les personnes sur qui nous comptons pour porter avec nous les messages
  • Travailler sa qualité de présence : ne pas être dans le rendez-vous mais dans la rencontre, en étant pleinement présent, en écoutant activement
  • Philippe nous invite également à arpenter différents mondes pour explorer et développer ses compétences. Développer notre « étonnement volontaire », cette faculté à braver nos habitudes culturelles (marcher avec un candidat, marcher pendant l’entretien d’évaluation…)
  • Nous interroger sur notre capacité à former autour de nous une équipe de Leaders, à définir le cap et le cadre.
  • Être un contributeur généreux

Cinq modèles organisationnels

Et enfin, Philippe Pierre nous propose une grille d’analyse organisationnelle avec 5 modèles :

  • Le modèle de la loyauté : un modèle hiérarchique, pyramidale, où l’on est au dessus ou au dessous de quelqu’un. Plutôt de domination masculine. « On se pose en s’opposant ». L’employeur nous a identifiés comme compétents et nous sécurise sur notre parcours en échange d’un grand investissement professionnel. Tout tourne autour des deux piliers que sont la famille et le travail ; on ne parle pas argent (« ne t’inquiète pas ça viendra ») et on donne tout à son organisation. C’est le modèle du père.
  • Le modèle de l’employabilité : un modèle contractuel, on signe des épisodes de vie, on parle facilement d’argent, on a la possibilité de faire du sport pendant la journée de travail, on est mobile… C’est le modèle du pair.
  • Le modèle de la communauté de métiers : on est identifié comme un talent énergivore (prend de l’énergie par son art du questionnement), chronophage (vient vous voir régulièrement si vous êtes important pour lui), ressourçant (vous amène à voir votre propre rôle différemment)
  • Le modèle de la plateforme : la mise en relation et la succession de contrats courts
  • Le modèle de l’entreprise archipel : chacun fait des ponts, des liens et des correspondances entre les mondes. On ne s’investit plus dans une seule et même institution et je me découvre au contact de personnes qui ne me ressemble pas. Je maîtrise l’art de la navigation entre des îlots qui sont des points d’ancrage forts. Et quand je suis là je suis intensément, pleinement là.

Philippe insite sur le fait qu’il y a pour lui coexistence des modèles dans nos entreprises.

C’est donc un véritable voyage entre les mondes que nous fait faire Philippe Pierre dans cet épisode ! De la réflexion pour l’action !

Les livres qu’il nous recommande :

  • Michel Serre – petite poussette
  • Michel Serre – c’était mieux avant
  • Civilisation, Régis Debray
  • Pour Un Management Interculturel – De La Diversité À La Reconnaissance En Entreprise Philippe Pierre et Mutabazi Evalde

Abonnez-vous

Épisodes à retrouver sur toutes les plateformes.

Des nouvelles fraîches
de Tipping Point ?